Ça riait, ça riait allègrement dans la salle commune de la demeure de Viviane et Lancelot, un peu trop pour Gauvain d'ailleurs. La journée avait été rude, et son dernier cours, portant sur les duels magiques, l'avait épuisé, tant physiquement que moralement. Marchant lentement vers le petit port proche de sa demeure, le jeune de Rosset n'aspirait qu'au calme, à la sérénité.
Aujourd'hui, le professeur n'y était pas allé dans la dentelle, laissant à Gauvain une douleur aigu dans la tête, suite à une chute provoquée par un sort. "La rudesse forme les hommes que vous serez, disait-il. Enfin si vous ne l’êtes pas d’ors et déjà, ajouta-t-il en jetant un regard appuyé à Gauvain.". Comme si un homme se devait d'être dure, et ce en toute circonstance. Gauvain le savait : il se devait d'être droit et franc pour faire un bon héritier. Mais trop de gens autour de lui confondaient droiture avec sévérité. Pour lui, on y gagnait tellement plus à écouter plutôt qu'à imposer.
Marchant à petits pas, Gauvain réfléchissait, comme toujours. Il pensait à la vie, à  leur vie, à la sienne, tant dans le présent que dans le futur. Pour lui, les certitudes n'étaient fiables que si on les remettait constamment en question, ce qu'il était le premier à mettre en application.
Mais, arrivant au port, une ombre inquiétante se reflétait dans l'eau. Relevant la tête, il vit une femme, debout, droite comme un "i", se tenant là tel un mirage. Le Soleil, commençant à se coucher, découpait nettement sa silhouette sombre dans un océan de lumière du soir. Mais elle était là, figée, profitant du calme qui régnait dans ces lieux. Alors qui pouvait être cette personne mise à part Aliénor de Soissons ? Et Gauvain qui voulait être au calme et se détendre, c'était raté... Instantanément, une légère tension s'empara du jeune homme, mais rien de bien méchant, s'il se reprenait tout de suite. Seulement, si Aliénor s'en était rendu compte, s'était la fin...
S'approchant lentement, le jeune homme ne voulait, tout de même, pas briser un si beau silence. Alors, il se posa simplement à côté d'elle, et se mit à admirer l'eau, pensant que les douces ondes maritimes emporteraient ses pensées dans leurs sciages.
"Je suis bien heureux de voir que nous connaissons les mêmes lieux paisibles pour nous détendre, lança-t-il simplement. Aliénor, ajouta-t-il avec une légère inclinaison de tête vers elle en signe de salutation. "
Il avait fallu qu'il entame une conversation, il n'avait pas pu s'en empêcher ! Il pouvait rester là, tranquillement, observant les barques danser sur l'eau instable, mais non ! Il venait d'entamer une conversation avec Aliénor : il était fini. Il pouvait oublier le calme et la tranquillité pour cette fois.

Mais ce qui était fait était fait, et Gauvain, espérant encore un peu qu'Aliénor fasse tourner court la discussion, se préparait à l'affronter, ou à se défiler... Après tout, tirer sa révérence face à une femme aussi redoutable et forte que la jeune de Soissons ne représentait aucune honte, pour certains du moins...
« Ne serait-ce pas l'homme qui murmure à l'oreille des serpents? Je suis ravie de voir que vous n'essayez plus d'imiter mes semblables, Sieur de Rosset. »
Sieur de Rosset, Sieur de Rosset, ces quelques mots résonnèrent quelques instants dans sa tête comme la glas de l'erreur qu'il venait apparemment de commettre. Lui qui l'avait appelé par son prénom, il ne pouvait s'empêcher de se demander si le ton sarcastique, voir même cinglant, de la douce Aliénor n'était pas dû à cela. Avait-elle pris les mots du jeune homme pour un manque de respect et de politesse ? Mais ce n'était pas le but recherché ! Seulement comment s'excuser sans reproches explicites préalables ? Gauvain ne pouvait tout de même pas le faire : Aliénor n'attendait que cela pour le tenir d'une seule main.
Je suis ravie de voir que vous n'essayez plus d'imiter mes semblables. Il ne manquait plus que cela. Immanquablement, Gauvain se souvint de l'horrible allure qu'il avait au bal, et en pâlit en quelques secondes. Mais cela remontait à plus de trois mois ! Aliénor aurait pu se passer de ce genre de remarque. Cela dit, la connaissant, elle n'est pas femme à se passer de quoi que ce soit... Surtout lorsque cela peut tourner une situation à son avantage ! De son horrible frimousse blonde, Gauvain pouvait être certain qu'il en entendrait parler encore pendant un bon moment. Mais soit. Depuis, il n'avalait plus une seule potion qu'il n'ait pas fait lui-même. Mais en ce triste jour d'hiver, il l'avait fait, et était prêt à en assumer les conséquences pendant le reste de sa vie si nécessaire.
l'homme qui murmure à l'oreille des serpents. Voilà sa porte de sortie ! Il pouvait toujours répondre à cela. Seulement, quelque chose le gênait. Aliénor, quoi qu'un peu piquante et sûre d'elle, ne prenait jamais de risques inconsidérés. Et pourtant, elle venait de, de le provoquer ? Dans un endroit où des serpents nageaient non loin qui plus est ? Alors certes, Gauvain savait qu'il ne donnait pas une image agressive de lui, mais tout de même... Un instant interdit, Gauvain finit par voir en ces mots un provocation infondée. Mais cela n'en restait pas moins anormal. Que lui était-il arrivé ? Qu'est-ce qui la tourmentait à un tel point qu'elle en oubliait sa prudence ? Ça, Gauvain ne le savait pas, contrairement à... Non ! Depuis tout à l'heure, elle entendait tout ? Certainement... Tournant légèrement le regard, les yeux du jeune de Rosset tombèrent sur ceux de la douce de Soissons, et ce juste avant que cette dernière ne secoue la tête. Se laissait-elle envahir par... le doute ? Mais que lui arrivait-il à la fin ?! Gauvain avait beau ne pas lire dans les gens comme elle pouvait le faire, il la connaissait assez pour savoir que quelque chose la perturbait.
« Et bien, où sont vos amis à la peau écailleuse? »
Avait-elle tout entendu ? Certainement. Cherchait-elle à enterrer les considérations altruistes que Gauvain avait quant à son état ? Peut-être. Après tout, elle n'était pas du genre à se mettre à nu comme ça. Gauvain, néanmoins, ne prit pas ce manque de confiance mal. Seulement, garder cela en elle n'était pas ce qu'on pourrait qualifier de bon. Gauvain n'aimait pas la voir mal ainsi, mais ne pouvait pas pour autant la forcer à parler. Après tout, elle se braquerait d'un coup : il le savait.
Malgré tout, il avait une idée. Aliénor le prendrait certainement mal, et lui-même aurait certainement du mal à assumer cela jusqu'au bout, mais soit. Il n'avait pas dans l'idée de lui être agréable, mais voulait la faire parler pour qu'elle aille mieux. Les nerfs sont parfois bien mauvais conseillers après tout. Et, dans certains cas, un banal "bou !" par dessus l'épaule peut bêtement faire sursauter et craquer.
"Justement, répondit-il avec une assurance forcée aussi vite que possible afin qu'Aliénor ne puisse pas lire dans sa tête. Juste derrière vous.
Les yeux droits, Gauvain se battait pour ne pas les baisser. A présent, le jeune homme voyaient deux réactions possibles. Soit cela marchait, et les nerfs d'Aliénor craquait, lui déliant irrémédiablement la langue, soit le jeune de Rosset recevait une belle baffe bien mérité. Ceci dit, Aliénor n'a jamais été une femme prévisible. Aussi longtemps puisse-t-on la connaitre, elle réserve toujours des surprises.

Fébrile, Gauvain cherchait à cacher sa crainte derrière une assurance factice. Son père était doué pour faire ça, lui, moins... Il voulait aider Aliénor, certes. Mais il redoutait ce qu'il allait recevoir pour ce faire... La jeune de Soissons n'était pas réputé pour sa docilité après tout. Figée, il attendit pendant quelques secondes qui lui parurent être une éternité, pour finalement voir Aliénor cligner des yeux, incrédule. La baffe allait sans doute suivre... Fermant les siens frénétiquement et reculant légèrement la tête, Gauvain attendit qu'elle arrive, craintif...
Seulement, au lieu de sentir une main s'écraser sur sa joue, d'impétueux rires fracassèrent ses oreilles. Incrédule, à son tour, il entrouvrit un œil, redoutant le pire, mais il vit avec surprise la belle blonde rire aux éclats. Interdit, il ne sut d'abord comment réagir, et comment le prendre... Mentait-il si mal que ça ? Mais, il se recentra sur l'essentiel. Aliénor semblait aller mieux. Ses rires, qu'ils soient moqueurs ou pas, avaient effacés de son visage toute trace de tracas. Alors, certes, la méthode employée ne fut pas celle que Gauvain avait en tête, mais le résultat était là. Que demander de plus ?
Se détendant à son tour, Gauvain finit même par arborer un grand sourire de bon cœur. S'imaginant un instant agir comme il l'avait fait, il ne put nier l'évidence : il avait du avoir l'air ridicule ! Il en laissa même échapper un léger rire étouffé. Malgré lui, il était, peut-être, un remède efficace contre la tristesse, il fallait le croire.
« Et bien laissez vos amis se joindre à nous. »
Elle voulait...les voir ? Soit, Gauvain n'était plus à ça prêt. Et puis, il ne voyait pas Aliénor faire volontairement du mal à quelque créature que ce soit. Posant un genou à terre, il se mit alors à effleurer la surface de l'eau des doigts. Ils étaient là, Gauvain les sentait toujours. Seulement, il ne savait pas, à proprement parlé, comment les faire venir. Alors, il se contenta, comme à chaque fois, de se laisser submerger par les sensations de ces reptiles, qui devenaient de plus en plus fortes au fur et à mesure qu'ils approchaient. Ils étaient trois, et encore tapis dans l'ombre au moment où Gauvain manqua de tomber. Mais, se reprenant, il tint debout jusqu'à ce que les trois serpents sortent de la pénombre, gigotant à la surface de l'eau pour ne pas sombrer. Là, les trois créatures vinrent se frotter à ses doigts, et finirent par monter sur son bras. Gauvain, lui, dégageant tout le calme nécessaire pour les mettre en confiance, luttait pour ne pas se laisser aller. Caressant du doigt leur petite tête écailleuse, il finit par se relever lentement, les trois reptiles entourés autour de son bras. Il les fixait, les fixait sans discontinuer, mais en évitant toujours leurs yeux. S'il les croisait du regard, l jeune imprégné savait qu'il n'en sortirait pas.
"Comme il vous plaira, reprit alors Gauvain d'une étrange voix soufflée, Dame de Soissons.
Le jeune de Rosset arbora alors un large sourire. C'était à peine si Aliénor existait pour lui. Gauvain, n'ayant plus quitté les serpents des yeux depuis qu'ils étaient sortis de l'ombre, avait envie de sombrer dans cette familière transe qui le prenait, mais s'efforçait de garder la tête froide, par convenance.

Mais, du peu qu'il vit, Gauvain remarqua qu'Aliénor semblait aussi intriguée par ces bêtes, et ce à un tel point qu'elle avança lentement sa main vers l'un des reptiles. Gauvain lui, attendant de voir, restait statique. Après tout, il ne pouvait rien refuser à la jeune de Soissons, elle qui semblait bien plus fascinée qu'inquiétée par les serpents. Seulement, rapidement, sa main trembla très légèrement. Était-elle inquiète ? Gauvain s'en rendit d'ailleurs compte juste à temps afin de calmer un serpent qui voulait attaquer. « Calmes-toi. », murmura alors le jeune homme. Non qu'il ait besoin de parler pour refréner l'instinct de survie de la créature, non. Mais il espérait un peu qu'Aliénor le prenne pour elle. La conseiller indirectement restait mieux.
Ces bêtes là sentaient tout. Et c'était un étrange spectacle que de voir un tiers lire en la jeune légicimen comme dans un livre ouvert. Un juste retour des choses dans un sens. Gauvain, s'il n'avait pas été aussi concentré sur ses serpents, en auraient presque rit. Mais là, il avait bien d'autres choses à faire... Les reptiles étaient nerveux, et ce même après que la jeune de Soissons ce soit totalement détendue. Bien entendu, elle n'est l'était pas littéralement "totalement détendue", le jeune homme lui même ne parvenait jamais à l'être. Mais, en général, il parvenait à passer outre, et les serpents, quoi qu'un peu méfiant lui faisaient confiance, tant à lui qu'aux personnes qu'il semblait considérer comme des alliés. Mais là, il y avait autre chose.
Aliénor... Aliénor... Aliénor... Gauvain la savait très... de Soissons. Alors, bien sûr, ce n'était pas un reproche, mais une simple constatation. Sa famille préférait manipuler ses ennemis plutôt que de les affronter. Alors oui, l'idée était noble, mais la mise en pratique comportait un élément qui gênait tant Gauvain que ses reptiles : le mensonge. Qu'il soit léger, ou bien plus profond, Aliénor savait mentir, ce que Gauvain cherchait bien souvent à oublier afin de ne pas douter d'elle. Mais les faits étaient là, et les serpents, eux, n'aimaient pas les faux semblants. Même si la jeune femme ne mentait, à ce moment là, pas, il restait des marques de ses forfaits, un odeur tenace, ou une allure crispée, que les créatures enroulées autour du bras de Gauvain trouvaient menaçante.
Seulement, Aliénor semblait, malgré tout ça, tellement heureuse. Gauvain se refusait de briser sa joie. Il devait tenir, tant bien que mal. Il devait maintenir l'illusion sur pied, lui faire croire que ces créatures étaient avenantes, et gentilles. Bien trop de gens les voyaient d'un mauvaise œil pour laisser passer cette occasion. Et, si Gauvain voyait qu'Aliénor était vraiment ouverte avec les créatures, il craignait qu'elle ne se braque en cas de remise en question nécessaire. Le mensonge faisait partie intégrante de l'homme. Et, Gauvain, sans pour autant le pratiquer, s'y était fait, et savait quels penchants coulait dans ses veines, tout comme ce qui lui tournait autour. Le mensonge est là, creusant chaque jour un peu plus le fausset entre animaux et humains. Mais il ne faisait pas peur à Gauvain. Lui, il comprenait les deux points de vu, et pouvait bien faire office de médiateur après tout.
« Tu es magnifique. » Elle s'émerveillait ! Caressant délicatement la tête d'un des serpents, elle semblait jauger du touché de leur peau. Puis, ses doigts redescendirent vers le corps de la créature, comme si elle caressait avec une douceur infinie l'encolure d'un cheval. Elle le fixait, tout comme Gauvain d'ailleurs. Répétant constamment "Calme-toi" ou "Tout va bien" dans sa tête, le jeune homme rassemblait tout ses pouvoirs pour construire une passerelle entre les deux berges. Humains, et serpents, si proche et si éloignés à la fois. Gauvain ne l'avait jusqu'alors pas saisit dans toute sa puissance, mais là, il vit. Aliénor, encore légèrement marquée par le mensonge, commençait peu à peu a cicatriser. Elle devenait plus vrai, plus seine, plus elle. Petit à petit, les parasites de ses faux semblants s'effaçaient. Le serpent, lui, d'abord méfiant, s'éprit peu à peu d'une étrange curiosité. Qui était-elle ? Que voulait-elle ? Qu'avait-elle ? D'où venait-elle ? La bête, laissant lentement de côté sa méfiance, était intriguée.

Et, aiguisée comme des têtes de flèches, le regard d'Aliénor vint rapidement se poser sur Gauvain, sortant le jeune homme de ses songes contemplatifs. Une part de son esprit était toujours consacré au contrôle des trois reptiles, mais stopper leur instinct violent de défense devenait de moins en moins nécessaire. Aliénor, elle, semblait vouloir quelque chose, mais quoi ? Et puis, depuis quand demandait-elle ? C'était sidérant. Et ce devint indescriptible lorsque un des serpents, acceptant l'invitation d'Aliénor, grimpa sur son bras. Toujours, Gauvain avait à contenir une nervosité chronique que ses chers amis avaient développés, mais cela restait supportable, très facilement supportable même. Même si Aliénor fit par quelques fois, peur à son nouvel ami avec un mouvement inapproprié, ce dernier semblait avoir placé en elle une certaine forme de confiance. Et, de temps à autre, ce dernier jetait parfois un œil vers Gauvain. Avait-t-il confiance en lui ou en elle ? Gauvain ne savait plus vraiment qu'en penser, que croire. Sa concentration était telle que l'étrange sensation qui avait prit les serpents commençait à s'emparer de lui. Respirant de plus en plus fort, il commençait à haleter. Il perdait la mesure, perdait la maîtrise de son lien. Non qu'il ne veille pas arrêter, mais il n'y arrivait pas, ce qui lui était jamais arrivé avant... Fermant les yeux, il se força à respirer longuement et profondément. Perdre ainsi le contrôle, au moment même où Aliénor semblait s'épanouir. Ça ne pouvait pas plus mal tomber...

Seulement, de seconde en seconde, tout se mélangeait un peu plus dans sa tête. tout était confus, flou. Il en entendit à peine les remerciements d'Aliénor, et en venait même à sentir le poison des serpents couler dans sa gorge. Il se laissait emporter dans des courants dont il ne ressortirait jamais. Alors, dépliant brutalement son bras, il renvoya violemment les deux serpents dans l'eau, regrettant immédiatement son geste. Mais c'était nécessaire.
"A présent, je préférerais autant qu'ils nous quittent, ajouta-t-il, au moins pour un moment."
Le reptiles entouré autour de bras de la jeune femme était encore trop proche de lui. Ses yeux, fixant le jeune homme, étaient pire que des rapides, ou que des tornades. Il devait partir, et vite. Gauvain, haletant et chancelant, était maintenant recouvert de sueurs froides. Ils ne tiendrait plus très longtemps.