An 1139 ⊱ La cape frôle à peine le sol lorsque la silhouette se faufile en silence entre les murs du château de Vannes. Le tintement des armures se fait entendre au loin et au détour d'un couloir les torches étirent leur aura pour chasser les ombres le temps que les gardes traversent la pièce mais la silhouette, avisée de ses rondes, se dissimule. Une tapisserie fait l'affaire, ces lourds tissages qui ornent les épais murs de pierre et l’encapuchonnée prend même le risque de reconnaître les gardes en patrouille en dardant un regard rapide mais, de dos, elle ne parvient pas à les identifier. L'enfant attend encore quelques secondes que le silence reprenne ses droits pour sortir de son antre et s'élancer à travers le dédale de couloirs. Elle sait parfaitement où elle va et ses pas sur la pierre sont silencieux, d'ailleurs la frêle silhouette est à peine alourdie par le ballot de cuir qu'elle tient serré contre elle. Jusqu'à la porte dérobée la de Broerec a réussi à endiguer l'excitation qui montait en elle mais sitôt franchit-elle cette dernière que ses pas s’accélèrent jusqu'à lancer la bretonne dans une course effrénée à travers les abords du château, ne ralentissant la cadence que lorsqu'elle parvient à l'orée des bois où elle abandonne sa lourde cape pour pénétrer les bosquets. «
Dans la forêt en pleine nuit, vraiment petite sœur ? ». La brune se fige, se retient de crier car elle a reconnu le timbre avant même d'entendre le « petite sœur » et c'est furieuse qu'elle fait face à Kerrian les sourcils froncés. «
Pourquoi m'as tu suivie ? » «
Peut-être parce que les bois sont trop dangereux pour une enfant de ton âge, qui plus est seule. Que comptais-tu y faire ? » Deirdre fait la moue alors que son frère lui fait signe de lui donner le paquet qu'elle transporte, ce qu'elle se résout à faire non sans un soupir. «
Mère ne me laissera jamais apprendre. » Kerrian dégage l'arc de son enveloppe de cuir, l'observe un moment avant de le tendre à sa sœur. «
Arc pour droitier ? » Deirdre ne comprend pas la question, hausse les épaules. «
J'écris de la main droite, je dois tirer de la main droite non ? ». Kerrian rejoint en quelques pas sa sœur et se poste derrière elle, posant ses mains sur ses épaules le regard tourné vers les arbres. «
Tu vois les deux branches qui se croisent là bas, avec le nid au centre ? ». Deirdre opine. «
Ferme tour à tour chacun de tes yeux et dis moi lequel te permet de voir continuellement le nid. » Elle s’exécute, se demandant si son frère ne la fait pas tourner en bourrique. «
Le droit. » déclare t-elle en se tordant le cou pour voir le visage de son grand frère. «
Alors princesse c'est un arc de gaucher qu'il vous faut ! Viens on va te chercher ça. » Deirdre le regarde interdite, avant de murmurer sur la réserve. «
Et mère ? ». Une lueur s'allume dans le regard de Kerrian, cette lueur d'audace qui l'a toujours caractérisé alors qu'il répond sur un ton monotone. «
Mère n'est pas obligée de savoir. » La seconde d'après la gamine sautait au cou de son aîné.
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An 1148 ⊱ «
Je prends une pause Elvann tu veux. » La chevalière en armure lève les yeux au ciel alors que Deirdre lâche l'épée bâtarde qu'elle tient. «
Et en combat tu prendras une pause ? » s'agace Elvann ce qui arrache un sourire à sa cadette. «
Tu sais que je ne combattrais pas, la garde de Trécesson a assez d'une de Broerec pour cette génération et je laisse ce plaisir à mon futur époux et à tous les mâles en quête de gloire. » Tout agacement quitte Elvann alors qu'un rire cristallin s'échappe de ses lèvres. Si différentes. Pas par le physique non car la ressemblance entre l'aînée et la dernière des sœurs est frappante mais elles ne sont pas fait du même bois, leur tempérament s'est différencié à mesure que les sœurs ont grandi. «
Peut-être plus pour longtemps. » finit par lâcher Elvann en rejoignant le banc de pierre sur lequel s'est assise sa sœur, toute bonne humeur l'ayant en un instant déserté. Les fiançailles. «
Je suis désolée Elvann... » «
Tu n'as pas à l'être, c'est ainsi que cela doit être. C'est tout. » Deirdre n'insiste pas, elle sait quand sa sœur veut parler mais à cet instant ce n'est pas le cas. Le regard de la bretonne court sur la demeure des de Broerec, nostalgique de l'époque où ils étaient tous réunis où les querelles n'étaient que celles d'enfants et n'avaient pas déchiré la famille. Almarian. Deirdre se redresse en prenant une grande inspiration. «
Bon je suppose que nous nous sommes assez reposées. » « Dame Deirdre ! » Les de Brorec se tournent d'un même mouvement vers le garde, qui fait une courte révérence avant d'expliquer la raison de son apparition. Une lettre que leur mère aurait reçu, Deirdre devait se montrer au plus tôt. Toutes les deux surprises, Deirdre délaisse les armes et les mannequins et suit le garde à travers les couloirs du château jusqu'à trouver ses parents dans la pièce principal, son père appuyait à la cheminée en fixant les flammes dans l'âtre alors que sa mère se précipite vers elle à peine à t-elle fait son apparition. « Oh Deirdre ! » La jeune femme ne comprend pas mais sa mère hésite, fuit son regard. « C'est Aliénor... » commence t-elle mais elle s’interrompt, cherche ses mots. «
Aliénor ? Mon Aliénor ? Que se passe t-il ? Que lui est-il arrivé ? » Une amie d'enfance que les années avaient éloignées d'elle en distance sans que leur correspondance jamais n'en souffre. C'est dans les yeux du suzerain que l'épouse cherche le courage d'annoncer la tragique nouvelle à sa fille mais Deirdre n'en peux plus d'attendre et attrape sa mère par les épaules qu'elle presse pour l'enjoindre à parler. Pourtant nuls mots ne furent prononcés, c'est une image qui s'imprima dans l'esprit de la benjamine alors qu'elle reculait promptement. Un bûcher. «
Ils paieront. » lâche t-elle les dents serrées avant de s'enfuir à travers les couloirs pour gagner sa chambre, claquant la porte alors que les larmes creusaient des sillons sur son visage maculé de poussière. Ils paieront.
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An 1150 ⊱ Le lourd livre se referme dans un bruissement de papier alors que le soleil darde ses derniers rayons dans la pièce, rendant visible dans leurs faisceaux le ballet dansant des poussières libérées par les vieux grimoires. La de Broerec quitte alors son banc pour se perdre une nouvelle fois à travers les allées de la bibliothèque en reposant dans les rayonnages les livres qu'elle avait emprunté. Toujours rien. Rares étaient les
legilimens à avoir couché leur savoir par écrit et la probabilité de trouver des indices sur cette branche de la magie dans une école comme Ornebois était infime. La pratique était trop dangereuse pour la laisser à la portée des élèves, sans contrôle sur leur apprentissage, mais cela impliquait que pour ceux qui parvenaient à réveiller le don qui fallait chercher l'aide de leur aînés ce à quoi Deirdre se refusait, ne voulant pas mettre sa famille dans une position caduque auprès de la communauté sorcière. La brune quitte alors la bibliothèque les yeux baissés, murmurant un chant celte en se concentrant sur les paroles gaélique, complexe, parfaite pour se focaliser et éviter de s'introduire dans l'esprit d'un des élèves en croisant son regard.
Enfin la sorcière arrive devant la porte du sous-sol qui mène vers l'antre des demeures de Lancelot et de Viviane et elle prend une profonde inspiration avant de la franchir. Restant concentrée sur ses pensées, la brune tente de traverser la salle bondée sans se faire remarquer alors qu'une main se pose sur son épaule. «
Deirdre ! ». Elle se dérobe sous la main de Caelan, fait un pas en arrière avant de s'excuser, le regard fuyant devant son air interdit «
Tu m'as surprise. » «
Pourtant je t’appelle depuis une heure ! Almarian te cherche. » La de Broerec balaye la pièce commune du regard à la recherche de sa sœur et déconcentrée elle est désarçonnée par un tumulte assourdissant, écrasée par les pensées qui s'entremêlent et s'entrechoquent dans son esprit assailli, bien trop novice pour maîtriser l'assaut. «
Je lui parlerai plus tard Caelan. » Le ton est crispé, sa mâchoire tendue. «
Vous vous êtes disputées ? ». «
Non. Je ne me sens pas très bien, j'ai besoin d'air, d'être seule. ». Une main, un gant de fer qui comprime sa raison. Sans plus de mots, elle se fraye un chemin jusqu'à l'entrée de la salle commune sous le regard éberlué de son ami, bousculant même une jeune femme à qui elle adresse une excuse les dents serrées et enfin à la surface elle court à en perdre haleine jusqu'à s'effondrer dans les bois les doigts graciles crispés dans ses cheveux bruns qu'elle serait capable d'arracher pour apaiser la douleur ou du moins en la détourner de sa cible. Puis elle s'apaise, l'isolement aidant : Il n'y a personne à entendre ici. Deirdre se redresse, vacillante et n'échappe à une chute qu'en se rattrapant à une branche qui lui meurtrit les doigts mais elle n'y prête guère attention. Déjà on recommence à susurrer à son oreille et la sorcière sait que les murmures ne sont pas ceux provoquer par le bruissement des feuilles de chêne.
«
Deirdre ? ». Derrière elle. Elle ne veut pas se retourner, elle ne veut pas rendre de comptes. «
Deirdre, regarde moi ». Les larmes lui montent aux yeux mais elle les refoule, un de Broerec n'affiche pas sa faiblesse. Pourtant elle a peur, peur que son ambition lui ait brûlé les ailes, peur de devenir folle et de perdre pied. Une main se referme sur son épaule et la force à lui faire face alors que la de Broerec a fermé les yeux. «
Tu es une sorcière forte, tu me l'as assez rabâché alors prouve le de Broerec. Contrôle-toi » La colère prend le pas sur le reste alors qu'elle vrille ses iris dans celles du garde de Trécesson, se concentrant sur cette rage qui la gagne et qui lui brûle les veines pour se recentrer sur son propre corps. Doucement elle parvient à rebâtir les barrières mentales qu'elle a construite, n'entendant plus que ce que ses oreilles perçoivent. «
Tu ne peux pas continuer comme ça Deirdre. » La sorcière baisse les yeux. Non elle le sait, mais elle n'a pas encore la force d'aller demander de l'aide, pas encore.