Yvan est né en l’an de grâce 1111, au beau milieu du mois d’Août, à l’heure du déjeuner. Sa famille faisant partie de la noblesse magique Française, ça aurait dû être un évènement joyeux, entrainant le bonheur des membres de sa famille. Pourtant, ce ne fut point le cas. En effet, son père, le seigneur d’Abillon, avait découché lors d’une des fêtes arrosées de Saintes, et avait fini dans le lit d’une roturière de sang-mêlé, déshonorant sa compagne qui venait de décéder peu de temps auparavant.
Yvan Sicain d’Abillon, tel fut le nom du nourrisson né ce jour-là, fut retiré des bras de sa mère et introduit dans la famille de son père. Bien entendant, les d’Abillon étant ce qu’ils étaient, la mère fut compensée pour sa peine et la somme octroyée lui permit de vivre confortablement, au prix de ne jamais plus tenir dans ses bras son enfant. Elle ne protesta pas outrageusement, souhaitant préserver l’avenir de son enfant, mais ce fut pour elle un véritable déchirement dont elle ne se remit jamais véritablement, mourant d’une maladie quelques années plus tard.
Yvan fut donc élevé aux côtés de son demi-frère dans les traditions de la famille d’Abillon, et eut une vie correcte pour un bâtard, malgré les rumeurs et remarques désobligeantes inévitables à son sujet.
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De sa petite enfance, il se souvient peu, ce qui est normal. Il se souvint par contre des railleries des autres enfants nobles, ainsi que du temps passé dans la bibliothèque dès le moment où il fut en âge et en capacité de savoir lire, c’est-à-dire dès l’âge de huit ans. Il ne fut pas ostracisé par sa famille ni par son frère, même si ce dernier n’était pas aussi proche de lui qu’un frère aurait pu l’être, ayant six ans de plus que lui.
De ce fait, très tôt dans sa vie, il n’eut ni la capacité, ni la motivation de vraiment socialiser avec ses pairs et préféra grandement la silencieuse et neutre compagnie des mots couchés sur le parchemin, que ce soit des textes littéraires ou bien même des traités de magie.
Il participa bien sûr aux entraînements physiques qui étaient dispensés aux jeunes enfants de la famille, mais il ne s’épanouît jamais dans l’effort physique et préféra toujours faire fonctionner son esprit plutôt que ses muscles. Ce qui ne manquait pas d’exaspérer l’instructeur qui était chargé de lui apprendre le maniement des armes, et qui dans un même temps ne manqua pas d’amuser l’érudit qui avait été engagé par son père afin qu’il reçoive l’éducation que son esprit curieux et obstiné recherchait.
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Le premier tournant dans sa vie arriva lorsqu’il eut quinze ans. C’était lors d’une journée agréable en fin d’été, et les deux frères avaient décidé de passer un peu de temps sur les rives de la Charente à profiter du beau temps. L’eau du fleuve était limpide, et le débit plutôt intense au vu des pluies qu’il avait fait quelques jours auparavant, mais ça n’avait pas découragé les deux jeunes hommes qui s’amusaient au bord de l’eau.
Yvan regardait avec des yeux remplis d’étoiles son frère utiliser la magie et l’utiliser pour faire des ricochets sur le fleuve, impatient du moment où il pourrait enfin recevoir sa baguette et intégrer la prestigieuse école d’Ornebois. Il en rêvait, pouvoir enfin apprendre à maîtriser ce don si difficile à contrôler, en savoir toujours plus pour assouvir sa curiosité insatiable.
Puis, le jeune Yvan, après avoir passé une heure sur les bords du fleuve baigné de soleil, se décida enfin à aller se baigner. Il se dévêtit prestement, son frère rigolant et faisant de même, et se jeta dans l’eau.
La suite fut comme dans un cauchemar. Au moment où son corps échauffé par le soleil tapant de cette après-midi d’Août toucha l’eau, son corps entier se paralysa, l’empêchant de bouger. Il commença à couler immédiatement, arrivant tant bien que mal à bloquer sa respiration pour ne pas se noyer, mais ça ne pourrait durer éternellement. Son frère croyant à un jeu de sa part, rigola, mais ses rigolades firent vite place à la terreur lorsqu’il ne vit pas Yvan remonter. L’ainé sortit de l’eau en catastrophe et se jeta sur sa baguette, avant de lancer un sort d’invocation afin de sortir son frère de l’eau.
Yvan s’en tira à très bon compte, devant juste cracher l’eau s’étant infiltrée dans ses poumons durant le couple de minutes qui s’était écoulées, mais cette expérience laissa une marque profonde dans son esprit, une crainte de l’eau vive qui le suivit tout le reste de sa vie.
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Le jour de ses dix-sept ans, Yvan rentra dans le bureau de son père, et s’adressa à lui, une pointe d’espoir dans la voix.
« Bonjour père, je souhaiterais vous demander une faveur. »L’homme, n’étant point habitué à ce genre de propos de la part de son cadet, haussa un sourcil pour montrer sa curiosité et se tourna complètement vers Yvan.
« Je t’écoute Yvan, qu’as-tu à me demander ? »Le jeune homme prit une grande inspiration et laissa échapper l’idée qui lui trottait dans la tête jusqu’à présent.
« Je souhaiterais participer au rituel des Ardents. »Ces quelques mots suffirent pour que le chef de famille montre en quelques instants plus d’émotions que dans tout le reste de sa vie combinée. Son visage était un mélange de surprise, de colère, d’appréhension et de fierté. Il savait sans doute qu’au vu du caractère d’Yvan, il savait dans quoi il s’engageait. Et il savait sans doute les motivations qui l’avaient poussé à prendre cette décision.
« Es-tu sûr Yvan ? Il y a d’autres moyens de gagner le respect de tes semblables. »Un sourire qui se voulait rassurant apparut sur les lèvres de son fils.
« Mais aucun qui n’a autant de points positifs pour moi. Il ne s’agit pas seulement de gagner le respect des autres enfants nobles, mais aussi et surtout de prendre les premiers pas afin que je puisse accomplir tout ce que je souhaite dans ma vie, afin de faire honneur à notre famille. »L’expression de son père lui fit comprendre que les mots qui avaient quitté sa bouche étaient les bons.
« Bien dit mon fils. Et quelles sont ces ambitions dont tu me parles ? »Un regard déterminé, et un visage sérieux lui répondirent.
« Je souhaite devenir un alchimiste. »Un sourire amusé s’afficha sur les lèvres de l’homme.
« Ah, tant d’ambition. Soit, je vais organiser le rituel. Je ne te demande qu’une chose fils, survis. »~~~
L’arrivée devant la mare dans laquelle se ferait le rituel fut à la fois simple et complexe. Le soleil ne s’était pas encore levé, comme le voulait le rituel, et rien ne faisait que la marche était difficile autre que l’appréhension qui nouait peu à peu l’estomac du jeune homme. Il ne devait pas échouer, il ne pouvait pas échouer. Les d’Abillon étaient là, mais pas seulement. Devant lui se trouvaient plusieurs membres des autres familles nobles alliées aux Soissons, et les Soissons eux-mêmes.
Il était temps pour Yvan de se débarrasser de ce stigmate qui n’était pas de son fait propre, et de commencer une nouvelle vie en tant qu’homme digne de respect.
Alors que les premiers rayons du jour percèrent la nuit de leur lueur orangée, la mare fut mise à feu, le feudeymon dansant à sa surface. Yvan lui-même ne portait plus qu’un simple pagne, mais c’était simplement pour protéger sa modestie avant de rentrer dans l’eau enflammée. Aucun matériau et aucun sortilège ne pourrait résister au feudeymon, et il ressortirait de là nu comme au jour de sa naissance.
Après avoir pris une grande inspiration, il s’avança, lentement mais surement en direction de la mare. Le silence était pesant, tous les nobles présents regardant le jeune homme offrant son corps aux flammes.
Il ralentit au fur et à mesure qu’il s’approchait de la mare mais ne s’arrêta pas. Déjà, la sueur qui perlait son front s’était évaporée dû à l’intense chaleur se dégageant des flammes, mais il persista. A trois mètres de l’eau enflammée, la douleur causée par les flammes lui brulant la peau lui arracha le premier cri.
Toujours il continua, à la fois d’avancer et de hurler de douleur, alors que des cloques se formaient sur sa peau et que ses yeux se desséchèrent. A un mètre des flammes les plus puissantes existant, ses cheveux prirent feu, et, rassemblant ses dernières forces, il se jeta dans le brasier.
La douleur, insupportable jusqu’à présent, s’intensifia une seconde alors que son corps toucha les flammes, puis disparut totalement lorsque son corps atteint l’eau. A la place, il put ressentir la familière présence de la magie, cette compagne familière et si insaisissable qui l’emplit. Son corps à l’agonie, ruiné fut reconstruit.
Sa peau retrouva son aspect d’antan, désormais plus sensible et ignifugée, ses yeux furent reconstruits, pouvant désormais voir plus loin qu’il ne lui était possible jusqu’à présent. De même, son nez, ses oreilles et sa langue, complètement détruits par la chaleur intense et par les flammes furent reconstruits, plus efficaces qu’avant. Enfin, ses cordes vocales s’adaptèrent afin de pouvoir produire, en plus des sons accessibles aux humains, les sifflements, grincements et autres rugissement que les reptiles utilisaient pour s’exprimer.
Il était né à nouveau, tout simplement. La seule différence était ses cheveux, qui ne repoussèrent pas totalement et le laissa avec une fine couche lui recouvrant à peine la tête.
De l’extérieur, le feudeymon qui dansait sur l’eau sembla s’éteindre lentement, chose impossible usuellement, avant de complètement disparaître.
Une seconde passa, puis une deuxième, et enfin Yvan sortit de l’eau, les yeux écarquillés. Il se traîna le long de rive, quittant lentement l’eau avant de s’effondrer, nu et inconscient, devant tous les nobles.
Un nouvel Ardent était né.
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Les répercussions de ce rituel furent énormes, à la fois pour lui et pour sa famille. Plus jamais il ne fut la cible de moqueries de la part des autres jeunes nobles, et l’attention que lui portaient désormais certaines jeunes filles le mettaient mal à l’aise. Il ne les fuît pas mais ne les encouragea jamais dans leurs attentions, ne sachant pas trop ce qu’il se passait et préférant privilégier ses études approchantes.
Pour ce qui est de sa famille, la réputation obtenue du fait de la présence d’un Ardent parmi les leurs renforça leur place auprès des de Soissons, et fit monter leur influence dans la haute société.
Tout le monde y avait gagné.
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Yvan sortit du magasin avec un grand sourire et sa baguette entre les doigts. Ses parents avaient décidé de l’emmener dans le sud de la France se procurer sa baguette pour éviter les Sombralins. Le passage, contrairement à ce qu’il avait pu croire, fut très rapide.
L’homme, un Longevalle, a placé six baguettes devant lui, et les a fait essayer une à une à Yvan. Le troisième choix, une baguette de chêne rouge avec un cœur de griffe de salamandre fut choisie. Vingt-cinq centimètres, assez rigide.
Après tout, les nouvelles d’un Ardent ayant passé le rituel se propageaient plutôt vite dans la communauté magique Française.
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La scolarité à Ornebois fut à la fois bien mieux qu’il ne s’attendait, mais aussi bien pire par certains aspects. Les cours étaient intéressants, oui, mais les professeurs n’allaient jamais trop loin, et au final l’apprentissage, bien que suffisant pour vivre dans la société magique Française, n’était pas assez poussée pour le jeune Yvan.
D’un autre côté, l’enseignement de l’alchimie à l’école fut à la fois une concrétisation de toutes ses espérances, puisqu’il s’adapta aux enseignements et aux nouvelles connaissances comme un poisson dans l’eau, mais ce fut aussi la source de toutes ses frustrations, puisque, le professeur devant s’assurer du progrès de chacun de ses élèves, lui-même ne put progresser aussi rapidement et aussi loin qu’il l’aurait souhaité.
D’un point de vue social, il se lia d’amitié avec plusieurs des jeunes nobles l’ayant ennuyé durant son enfance, et eut quelques aventures avec des jeunes femmes, mais il ne ressentit jamais au fond de lui l’étincelle qui le pousserait à s’intéresser à une relation amoureuse, et son père, ayant déjà un fils marié et ayant eu un fils, ne lui imposa pas un mariage arrangé. Il resta donc célibataire jusqu’à sa sortie de l’école, en 1135.
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Aussitôt sorti de l’école, il se plongea dans la société alchimique Française, et constata avec mépris qu’elle ne progressait plus depuis les chasses aux sorcières, les alchimistes moldus ne participant plus aux découvertes.
Il se décida donc, après y avoir amplement réfléchi, à partir vers la Perse afin de rejoindre la communauté toujours florissante des alchimistes arabes. Le trajet fut aisé, et il lui fut possible de parcourir les pays européens sans encombre en se faisant passer pour un pèlerin.
Le trajet dura un peu moins d’un an, et rapidement il se retrouva devant la communauté magique Perse, qui l’accueillit avec suspicion. Les croisades n’étaient pas si éloignées qu’ils avaient oublié les morts infligées par les croisés européens. Heureusement, ils étaient aussi au courant des chasses aux sorcières en France et ailleurs, et de la profonde suspicion touchant les communautés magiques et les séparant de l’influence de l’Eglise.
Il fut donc autorisé à poursuivre ses études d’alchimie sur place, et son don, sa fraicheur ainsi que son esprit d’initiative et son inventivité le servirent fidèlement durant toutes de longues années.
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Quatorze ans, quatorze ans à étudier, à progresser, à découvrir toujours plus sur l’alchimie. Les alchimistes Perses voyaient le monde comme un mélange des deux visions grecques. Celle de Platon, quant à l’importance des éléments sur la nature des objets, mais aussi celle de Démocrite quant à la constitution infime de la matière, les atomes.
Mélangées, ces deux visions permettaient aux alchimistes de toute sorte de changer le monde selon leurs désirs, les alchimistes sorciers ayant bien sûr plus de succès que leurs homologues moldus. Pourtant, il ne fallait pas nier l’importance qu’avaient eue les moldus sur l’évolution, car même si la partie magique était hors de leur portée, toute la partie philosophique, et certains actes ne nécessitant pas la magie étaient capables d’être réalisés par eux.
Yvan lui-même maîtrisa les transmutations alchimiques basiques assez rapidement, les simples changements de forme étaient évidents une fois qu’on se plongeait dans le sujet. Enfin, pour lui. Il passa ensuite à la transmutation d’essence, et à l’étude poussée des constituants de la matière, découvrant les qualités que les grecs avaient théorisé avant lui. La structure infime de la matière lui fut ouverte, ainsi que les liens entre cette structure et les éléments.
Il apprit à changer les métaux en d’autres métaux, à changer des déchets en nourriture comestible, puis il élargit son champ d’étude aux homoncules et aux transmutations plus complexes, de métal à nourriture, ou en air. Le mythe de la transmutation du plomb en or était bien entendu pas si myhtique que ça, mais la structure même de l’or, un métal immuable, faisait que sa création était extrêmement coûteuse en énergie et en efforts, rendant tout désir de richesse vain.
Les deuxièmes croisades, auxquelles il assista de loin finies, il se décida enfin à rentrer en France et à retrouver sa famille. Ce fut son frère et ses neveux qui l’accueillirent à bras ouvert, et l’ainé de ces neveux qui lui fit part après quelques jours de la place disponible de professeur d’Alchimie à l’école d’Ornebois.
Intéressé par l’idée de donner à ses élèves la vocation de l’alchimie, il s’y rendit aussitôt et passa une audition pour le poste, qu’il obtint immédiatement après avoir démontré sa maîtrise du sujet.
Nous sommes en 1150. Voici le début du reste de sa vie.