Chapitre I - Enfance
Un bruit d'acier réveilla Gwendal. Le garçonnet ouvrit les yeux dans son lit du château de Poitiers et jette un rapide coup d’œil au miroir. Sa masse de cheveux bouclée, indomptable, s'élevait au dessus de sa tête comme pour le narguer. Le petit garçon passa sa main dans ses boucles noires dans l'espoir de les dompter, sans succès. Il soupira et se glissa mollement jusqu'à la fenêtre pour découvrir l'origine du bruit. Dans la cour, Siegfried et Finnagán se battaient à l'épée le temps d'un duel amical. Et tandis que les rires des deux "grands" se rejoignaient à l'unisson, Gwendal sentit son cœur s'étreindre d'un terrible accès de jalousie. Le jeune bouclé avait détesté le petit irlandais dés son premier jour au sein de la famille de Lusignan. Dés le début, ce maudit petit rouquin avait cherché a lui voler Siegfried, et il semblait au jeune homme qu'il avait promptement remplis sa tâche. Siegfried et Finnagán n'étaient quasiment jamais vu séparément et leur complicité grandissante alimentait le coeur jaloux de Gwendal. Le garçonnet darda ses prunelles noires de jalousie sur Finnagán et lui tira vigoureusement la langue. D'un mouvement brusque, Gwendal ferma les volets de bois de sa chambre dans la Tour Nord. Le petit garçon s'en retour a dans son lit et souleva le matelas ou il cachait divers livres de magie. Il ne savait pas vraiment ce qui le poussait à voler ces vieux grimoires de la bibliothèque familiale pour les cacher jalousement sous son lit. D'une certaine manière, il s'assurait que la pupille de son père ne devienne pas aussi savant que lui. Gwendal marquait également son territoire en dérobant ces livres: contrairement à Finn, le bouclé était un véritable Lusignan. Il avait donc légitimement droit à ces grimoires anciens. Alors Gwendal gardait précieusement ces livres sous son matelas, persuadés qu'ils ne manqueraient à personne sauf à Finn, pour s'imprégner quotidiennement de connaissances nouvelles, dans l'espoir de devenir un sorcier savant. Le petit bouclé se savait sur la bonne voix. À six ans, il savait déjà lire, ou du moins épeler; ayant espionné les cours de lecture de Siegfried. Le petit garçon ouvrit un livre de sortilèges et se mit à lire des formules magiques à haute voix, dans l'espoir que quelque chose se produise.
"Alo-lo-ho-mo-ra. Ex-per-liar-mus. Lu-mos. Nox. Ri-di-ri-di-cu-lus." C'était absurde, il le savait. Gwendal n'avait pas encore de baguette magique et ses pouvoirs ne s'étaient pas encore manifestés. Mais il continuait de réciter ces mots vides de sens pour son petit esprit encore jeune, avec l'espoir de devenir un jour un grand, grand, grand sorcier.
***
Le petit être, minuscule dans son couffin de soie bleue, émit un petit gémissement avant de retomber dans un profond sommeil. Dressé sur la pointe de ses pieds, Gwendal observait chaque nouvelle réaction du nourrisson avec avec un ravissement enfantin. Et lorsque le petit enfant se mettait à pleurer en poussant des petits cris aigus, Gwendal lui chuchotait des mots apaisants avec une douceur infinie
"Ne t'inquiètes pas. Tout va bien Con-rad." Le garçonnet avait encore des difficultés à prononcer le prénom de son petit frère qu'il disait toujours en syllabes distinctes. Gwendal n'avait que quatre ans mais il comprenait déjà ce que la naissance du petit Conrad signifiait. Un nouveau frère. Un nouveau camarade de jeux. Et l'arrivée de l'enfant au duvet blond semblait l'aider à comprendre la place de chacun au sein de la famille. Peut être n'était-ce pas une compétition pour garder l'amour de son père, de sa mère et de son frère? Peut être y avait-il une place pour chacun d'entre eux? Pour lui, pour Conrad. Et pour Finn. Gwendal eu un frisson. La présence du rouquin lui était toujours désagréable, mais elle lui était devenue supportable, tolérable. Peut être était-ce cela, grandir? Accepter des choses qui nous paraissaient pourtant si insupportables auparavant... Conrad poussa un nouveau gémissement et le petit Gwendal se pencha à nouveau sur du petit être.
"Doucement Con-rad. Ne t’inquiète pas Con-rad. Je te protège." murmura le bouclé d'une voix douce. Le garçonnet leva sa petite épée en bois pour prouver ses dires tandis que l'enfant se replongeait dans la béatitude du sommeil. Gwendal se posta devant le couffin, l'épée à la main, tel un véritable chevalier, tout en vérifiant à intervalles réguliers que le petit était toujours là, de peur qu'il disparaisse dans son sommeil. Un petit craquellement se fit entendre, et Gwendal leva la tête, légèrement effrayé. Il vit alors que le lustre au dessus du couffin de Conrad tournait à toute vitesse, ce qui fit rire le nourrisson aux éclats. Emerveillé, le bouclé félicita son frère qui venait d’user de la magie pour la première fois. Lorsque Conrad s’endormit à nouveau, le lustre s’arrêta de tourner de lui-même et les fissures ainsi provoquées au plafond s’effacèrent tout naturellement. Alors qu'il continuait son tour de garde, Gwendal sentit le sommeil le gagner à son tour. Il lutta pendant de longues minutes, mais fini par s'assoupir tout contre le couffin du petit Conrad. Il fut découvert par sa mère peut de temps après, qui le pris dans ses bras pour le monter jusqu'à sa chambre. La belle sorcière borda son fils avant de l'embrasser sur le front, puis lui retira l'épée de bois qu'il tenait toujours fermement dans sa main, même dans son sommeil. "Bonne nuit mon petit chevalier" murmura t'elle avant de quitter la chambre à pas de loup.
***
L'adorable petite Melizenn sur ses genoux, Gwendal avait les yeux fixés vers la fenêtre. De là, il pouvait observer le jardin du château. Mais c’était surtout le ciel qui attirait son attention. Là haut, un phénix passait, éclair orange sur l’azur du ciel. La petite fille tapait des mains en voyant l’oiseau qui volait au dehors. Se penchant sur sa chère petite sœur, ses boucles virent chatouiller la peau pâle de l'enfant et il murmura doucement.
"Regardes Melizenn, c’est Wolfram!" L’enfant éclata de rire et Gwendal embrassa sa petite sœur bien aimée sur la joue. Sans prévenir, un petit ouragan de boucles blondes déboula dans la pièce. Le petit Conrad se cacha sous le fauteuil ou étaient assis Gwendal et Melizenn, trahissant sa présence par de nombreux éclats de rire.
"Je vais t’attraper petit chenapan !" s’exclama Siegfried en déboulant dans la pièce à la suite de son cadet. Faisant mine de ne pas voir ou entendre Conrad qui continuait de rire, caché sous son fauteuil, Siegfried s’exclama avec de grands airs théâtraux :
"Mais ou est donc passé Conrad ? Je n’ai aucune idée de où est-ce qu’il peut être !" Nouveau fou rire de Conrad, tandis que Melizenn pointait innocemment le dessous du fauteuil de sa petite main potelée. Dévisageant sa cadette avec un regard ahuri fortement exagéré, Gwendal la chatouilla pour la punir de sa petite délation tandis que Sigfried s’amusait à tirer le petit blond par les chevilles. Conrad, continuait de rire, fort amusé par la tournure que prenaient les choses. Voyant que Wolfram s’était perché sur le rebord de la fenêtre, Melizenn glissa des genoux de son frère, échappant ainsi à ses mains chatouilleuses pour aller ouvrir à son cher phénix. L’oiseau vola autour de l’enfant et Gwendal contempla ce touchant spectacle d’un œil attendrit. Il y'avait quelque chose de profondément poétique dans cette danse entre l'enfant au cheveux de feu et l'oiseau flamboyant. Une sorte d’équilibre, d'harmonie entre le phénix est sa protégée. Wolfram s'était relevé de ces cendres pour elle. Il avait renaît en même temps qu'elle était née, et leurs existence étaient depuis ce jour étroitement liées. Le garçon avait toujours été fasciné par l’étrange communion qui existait entre le phénix et sa petite sœur. C'était tout simplement magique. Le jeune Gwendal avait conscience que Melizenn était un être d’exception et il se jura de toujours la protéger, envers et contre tous.
Chapitre II - Adolescence
"Monsieur de Lusignan? Je vous ennuie? Mon cours n'est pas assez intéressant pour vous, peut être ?" déclara sèchement le professeur Bossieux. Le jeune bouclé releva la tête, et s’excusa promptement ce qui ne sembla apaiser le professeur de potions. Le jeune homme n’avait jamais été insolent, et avouer son ennuie s’apparentait davantage à de la provocation qu’à un mensonge à ses yeux. Pourtant qu’est-ce qu’il s’ennuyait ! Les potions, ça n’avait jamais été son truc. Il n’était pourtant pas vraiment mauvais dans ces matières : il se situait même parmi les bons grâce à son excellente mémoire qui l'aider à retenir des pages entières sans trop d’effort et sa minutie habituelle lui permettait d'effectuer d'excellents dosages. Mais cela n’éveillait pas sa curiosité, bien au contraire. Il lui semblait souvent que l’on plongeait son esprit dans une effroyable langueur lorsqu’il assistait aux cours potions. Ses mains préparaient les divers breuvages mais son esprit, lui était ailleurs. Il aimait la magie, la vraie. Et même si il avait du mal à l'avouer, le jeune sorcier un goût certain pour le spectaculaire. C'était probablement pour cela qu'il adorait la métamorphose. Gwendal jeta un œil à la pendule et constata avec effroi qu’il restait une longue demi heure avant l'heure du déjeuner. Poussant un soupir, il se replongea dans l’étude de son manuel, pour se donner un semblant de contenance. Heureusement, une fois le cours du professeur Bossieux terminé, Gwendal pourrait se précipiter dans la classe de son professeur préféré : le professeur Amblard, qui enseignait la métamorphose à Ornebois depuis plus de soixante-dix ans! Gwendal était passionné par les cours du vieux professeur, qui était sans nul doute un des meilleurs de son domaine. De plus c'était un personnage fort amusant et Gwendal l'appréciait énormément. Fort heureusement, le professeur Amblard semblait partageait son affection et l'avait pris sous son aile dés sa première année à Ornebois. Il était à la fois amusé et impressionné par ce petit bout d'homme qui passait son temps à lui poser des questions après la classe et à faire des expériences de son côté. Voilà trois ans que Gwendal avait mis les pieds à Ornebois, et il avait passé le plus clair de ce temps à s'abreuver du savoir du sorcier. Et alors que le professeur Bossieux s'éternisait sur l'utilisation de la belladone dans l'art des potions, Gwendal perdit le fil de son discours, cherchant de nouvelles idées pour son entrevue avec le professeur de métamophose.
"Si vous continuez à rêvasser ainsi pendant mon cours, je risque vous mettre en retenue Monsieur de Lusignan. " menaça le professeur Bossieux.
"Pardon!" s'excusa à nouveau Gwendal. Et il chassa ses rêves de métamorphoses jusqu'à la fin de l'heure.
***
Près du feu, Gwendal était tranquillement assis dans le fauteuil de la salle commune de Lancelot, un grimoire d'histoire grand ouvert sur ses genoux. Il était minuit passé et le jeune sorcier était seul dans la salle commune. Il avait terminé de rédigé son parchemin pour le cours suivant mais profitait de la quiétude pour avancer un peu sa lecture. Grattant sa barbe naissante du bout des doigts, le jeune homme ne remarqua pas la présence d'une intruse dans la pièce, et sursauta presque lorsqu'elle plaqua ses petites mains fraiches devant ses yeux.
"Qui est-ce?" minauda la jeune femme à l'oreille de Gwendal.
"Hélène." répondit-il avec un sourire non dissimulé. Heureuse de sa réponse, la sorcière claqua un tendre baiser sur la joue du jeune homme. Ce contact suffit à faire battre son cœur à une vitesse affolante, et il jeta des regards inquiets autour de lui pour s'assurer que personne ne les avait surpris.
"Il n'y a personne." le rassura t-elle en levant les yeux au ciel. Gwendal lui répondit par un silence embarrassé. Il contemplait la belle Hélène de ses yeux bruns, le cœur déchiré. Elle était magnifique, c'était probablement la plus belle jeune femme qu'il ait jamais rencontrée. Ses cheveux blonds, presque argentés descendaient en cascades sur sa svelte silhouette, et quelques mèches folles embrassaient son visage angélique, presque divin, joyau blanc sertis de deux saphirs à la place des yeux Pourquoi fallait qu'elle soit aussi belle? Probablement à cause de son sang de vélane...
"Il n'y a personne." répéta t-elle avec un petit sourire entendu, en accentuant volontairement sur le dernier mot. La jeune femme profita de l'absence de ses camarades pour caresser le visage de Gwendal du bout des doigts, ce qui provoqua une myriade de sensations dans le corps du jeune homme.
"Arrêtes." dit-il en lui saisissant la main. Cela lui coûtait fortement, mais Gwendal savait qu'il ne pouvait pas laisser Hélène l'entraîner dans son manège. Il ne voulait pas être ce genre d'homme, aussi la repoussa t-il lorsqu'elle tenta de poser ses lèvres contre les siennes. Gwendal n'avait jamais été embrassé, et il n'avait jamais aimé aucune fille comme il aimait Hélène. Et pourtant, il la repoussait avec fermeté.
"Vas t-en." souffla t'il tandis que la jeune femme tentait un nouvel assaut. Ses mots sonnaient davantage comme une prière que comme un ordre, et pourtant Hélène s'immobilisa, comme sonnée par la résistance du jeune homme. Cependant elle ne bougea pas. Désireux d'en finir rapidement avec cet entrevue qui s'apparentait presque à un piège, Gwendal se leva d'un bond et quitta la salle commune pour regagner son dortoir. Sans même ôter ses vêtements, Gwendal s'enroula dans les couvertures et étouffa dans l'oreiller le cri de sa frustration masculine. Le jeune homme ne put trouver le sommeil. Il songeait sans arrêt à ce qui venait de se passer dans la salle commune. Hélène n'était pas une mauvaise fille, il le savait. Mais Gwendal ne pouvait se permettre un faux pas avec une roturière, aussi belle soit elle. Mais plus les minutes passaient, plus le bouclé se rendit compte que son refus n'avait rien à voir avec le fait qu'Hélène ne soit qu'une simple bourgeoise. Ce que Gwendal craignait le plus, c'était d'être blessé. Il était terrifié à l'idée de confier son cœur à Hélène, pour qu'elle le brise en mille morceaux... Et sur ses tourments, le jeune homme s'endormit. Mais son sommeil ne fut guère apaisant: il rêva de jolie blonde, de courses-poursuites et de cœur brisé.
Son cœur.
***
Gwendal inscrivait consciencieusement sur son parchemin les nombreuses et précieuses indications de professeur Amblard. Le jeune homme formait ses lettres du bout de sa plume avec son écriture simple mais et déterminée. Les cours théoriques n'étaient pas ses préféras mais Gwendal savait qu'il fallait passer par là pour exceller dans le domaine de la métamorphose. Il se demanda vaguement pourquoi il se sentait si puissamment attiré par ce domaine. Peut-être était-ce parce que sa petite sœur était métamorphomage? Il est vrai que très tôt Melizenn l'avait confronté à la beauté de la métamorphose. Le jeune homme était fasciné par les changements qui s'opéraient chez sa jeune sœur lorsque son don prenait le dessus. Pour lui ce don était une chance rare, et il regrettait fortement que leur grand mère ne lui interdise de sans servir...
"Nous allons désormais passer à la pratique." déclara le professeur Amblard d'un ton solennel. Gwendal accueillit cette déclaration avec une joie bienheureuse. Le professeur leur demanda de transformer un chapeau noir en lapin blanc. Rien d'insurmontable pour le jeune homme. Il se plia volontiers à l'exercice, et obtenu un lapin presque immédiatement. Le professeur Amblard lui adressa un clin d'œil entendu, et laissa des élèves essayer pendant une dizaine de minutes. Aucun obtenu un lapin digne de ce nom. Il avait des chapeaux à fourrures, des chapeaux à oreilles ou à moustaches et des lapins en soie noire. L'ensemble était franchement comique à regarder et Gwendal retenu un petite rire en voyant le chapeau poilu de son camarade en train de se trémousser sur sa table.
"Monsieur de Lusignan, montrez à vos camarades a quoi ressemble un vrai lapin." lui demanda le professeur de métamorphose d’une voix grave Obéissant, Gwendal se leva et rejoignit son professeur qui se tenait devant son bureau Puis il prit dans sa main le chapeau que son professeur lui tendait. Il apposa sa baguette dessus et fit immédiatement apparaître une magnifique lapin blanc, et éclata de rire lorsque l'animal lui griffa légèrement le bras de ses pattes arrières pour s'échapper.
"Parfait monsieur de Lusignan." Le jeune homme inclina la tête et retourna à sa place au fond de la classe sans un mot. Gwendal n'avait jamais été du genre à se faire remarquer et gardait une attitude simple et solennelle même lorsque les professeurs le félicitaient. Il intercepta tout de même le clin d’œil de son mentor, et ne put s'empêcher d'y répondre par un sourire. Qu'il était bon d'être reconnu comme un élève brillant par le professeur que l'on estime le plus!
Chapitre III - Apprentissage
Pour la première fois de sa vie, Gwendal bénéficiait d'une chambre à lui tout seul au sein d'Ornebois. Emménager dans les appartements de Merlin le laissait toute chose... Dire qu'il s'était trompé et avait naturellement pris le chemin de la demeure de Lancelot à son arrivée! A croire qu'il était encore un élève, dans sa tête. Mais le simple fait de s'installer dans ses appartements le ramenait à la réalité. Jusque là, le jeune homme n'avait pas vraiment encore accepter qu'il était passé de l'autre côté du miroir. Il avait passé l'été et avait regagné Ornebois avec la drôle d'impression qu'il y était encore élève. Il commençait enfin à réaliser que ses études à Ornebois étaient déjà terminées. Il était désormais l'assistant personnel du professeur Amblard. Cette simple constatation suffisait à lui donner le vertige. Il lui semblait que ses huit années d'apprentissage à Ornebois avaient filé à une vitesse affolante... Et sa petite Melizenn qui rentrait déjà en première année! Elle avait rejoint la demeure de Viviane, à sa plus grande satisfaction. Mais il lui semblait qu'elle n'était encore qu'une petite fille, trop jeune pour commencer ses études... Décidément, le temps filait bien trop vite.
"Vous semblez songeur Monsieur de Lusignan." remarqua le professeur Amblard avec une pointe d'ironie dans la voix. Gwendal se retourna pour voir que son mentor se tenait sur le pas de la porte. Le jeune homme leva ses yeux noirs plein d'inquiétude en direction du visage parcheminé de l'érudit.
"J'ai peur de ne pas être à la hauteur." admit Gwendal d'une petite voix. Le vieux professeur de métamorphose eu un sourire réconfortant, et il pose sa main ridée sur l'épaule du jeune homme.
"Je ne vous ai pas choisi comme assistant pour rien. Je sais que vous avez la carrure pour prendre ma place lorsque je partirais." Cette simple idée suffisait à fendre le cœur. Gwendal ne voulait pas penser à la mort de son professeur. Il était son modèle, son guide et son professeur préféré. Celui qui avait cru en lui et l'avait donc marqué à tout jamais.
"Professeur..." murmura le bouclé.
"Ne vous inquiétez pas pour moi, mon jeune Gwendal. Je suis vieux et j'ai bien vécu. Je partirais sans un regret." Le jeune homme ne releva pas car il savait son professeur têtu comme Hippogriffe. Le bouclé espérait seulement que son professeur vivrait encore bien des années avant de lui laisser son poste. Gwendal n'était tout simplement pas près à lui dire au revoir. Sans un mot, il continua de vider sa malle, lorsqu'une question lui traversa l'esprit.
"Comment avez-vous aménagé la troisième pièce mis à notre disposition?" Pas de réponse. Le bouclé se retourna et constata que son professeur avait déjà disparu. Il se gratta la barbe de sa main gantée, songeur. Le professeur Amblard était décidément un homme bien mystérieux.
***
Le professeur Amblard faisait son cours avec son charisme habituel. Il emportait ses élèves dans le tourbillon de la métamorphose et ils ouvraient de grands yeux écarquillés tandis qu'il faisait des démonstrations spectaculaires. Gwendal suivait le cours en retrait, répondant parfois aux sollicitations de son professeur pour venir en aide à tel ou tel élève. Mais le jeune homme n'avait pas le cœur à la tâche car il avait le malheur d'être tombé dans la classe d'Hélène Sauvigné, qu'il tâchait pourtant d'éviter depuis la scène de la salle commune, deux ans plus tôt. Malheureusement la belle blonde, d'un an sa cadette, était en dernière année et il ne pouvait l'éviter indéfiniment. Gwendal n'était pourtant pas près à rencontrer de nouveau ses yeux, ces deux grands lacs de tentation qui le sommait de s'y noyer. La cloche sonna et l'apprenti poussa un soupir de soulagement. Il rangea consciencieusement ses affaires, tandis que le flot d'élèves quittaient la salle. Lorsque Gwendal leva la tête, il fut surpris de se retrouver nez à nez avec la belle qu'il s'appliquer à fuir.
"Gwendal..." murmura t'elle. Le jeune homme constata avec effroi que la salle était vidé. Il était pris au piège.
"Hélène." Il recula d'un pas.
"Pourquoi me fuis-tu?" demanda Hélène d'un ton lourd de reproche.
"Pour ne pas souffrir." répondit-il, s'étonnant lui même de sa franchise. Hélène soupira.
"Oh Gwendal, je t'ai tant aimé pourtant!" Le cœur de Gwendal se serra et sa respiration se fit plus courte. Il fallait qu'il parte vite, sinon il risquait de commettre un acte stupide et spontané.
"Je crois que je t'aime encore, tu sais." Hélène avait sa mine de petite biche innocente affligée. Le cœur du jeune homme n'y tenait plus. Il attrapa Hélène par les épaules et déposa un baiser passionné sur ses lèvres. Elle le laissa faire pendant quelques secondes, puis le repoussa.
"Non Gwendal, je suis fiancée maintenant. À un fils de marchand, comme moi..." Puis elle attrapa ses affaires avant de quitter la salle.
"C'est trop tard Gwendal. Il fallait m'aimer avant." Et sa chevelure blonde disparu, laissant Gwendal abasourdi. Il avait aimé pour la première fois. Il avait embrassé une femme pour la première fois. Et elle lui avait brisé le cœur...
***
Les mains croisées derrière le dos, Gwendal passait dans les rangs de ses petits premières années. Le professeur Amblard lui avait délégué ses petites classes afin de faire progresser son apprenti et de se consacrer davantage à ses recherches. Bien que Gwendal s'efforçait de porter ce qu'il appelait le "masque du professeur", une expression neutre témoignant d'une certaine sévérité, le jeune homme jubilait à l'intérieur. Ses premières années, petits sorciers de seulement dix-huit ans, expérimentaient pour la première fois la pratique de la métamorphose. Il leur avait demandé de transformer un bouton en pièce de monnaie, et tous agitaient leur baguette avec un air concentré sur le visage. Gwendal se délectait de ses expressions assidues, reproductions fidèles de celles qu'il avaient abordé lorsqu'il avait leur âge. Pour l'instant, seul un de ses élèves avait réussi à produire une belle pièce de monnaie. Gwendal lui avait donc donné un exercice un peu plus difficile: transformer une souris en montre. Mais le garçon restait prostré devant sa souris, sans bouger.
"Et bien Louis, tu n'essaies pas?" lui demanda le jeune apprenti du professeur Amblard.
"Je n'ai pas envie qu'elle souffre." répliqua le sorcier d'un air buté. Gwendal contempla Louis pendant quelques secondes. Avec ses cheveux couleur corbeau en bataille et son regard certain, il lui rappelait quelques peu une vision rajeunie de lui même.
"Elle ne souffrira pas." répliqua Gwendal avec un sourire bienveillant.
"Vous être sur?" demanda Louis avec inquiétude.
"Absolument. Elle aura l'impression de dormir le temps de sa métamorphose et se réveillera lorsque le sort s'annulera. Tu n'as rien à craindre." lui assura le jeune homme. Un immense sourire apparut sur le visage de son élève, et Gwendal sentit comme une vague de chaleur se répandre dans son cœur. Le sourire du garçon lui donna la certitude pour la première fois de sa vie qu'il était fait pour l'enseignement.
Chapitre IV - Professorat
Le professeur Amblard mourut le 13 avril 1150. Il s'éteignit au beau milieu de la nuit, dans son sommeil, une mort sans douleur. Son cœur centenaire ne pouvait simplement plus tenir la route. Gwendal eut la malchance d'être celui qui découvrit le corps sans vie de son mentor, lorsqu'il vient le chercher pour leur entraînement matinal. On décida d'inhumer le professeur Amblard à l'endroit ou il avait passé le plus clair de son temps: Ornebois. La directrice choisit une clairière non loin de l'école pour être sa dernière demeure. L'enterrement fût programmé la semaine suivante. Nombreux furent les anciens élèves qui firent le déplacement jusqu'à Ornebois pour rendre un dernier hommage à celui qui avait marqué des générations par sa patience, son talent, son charisme et sa bonne humeur. Gwendal pleura beaucoup son ancien mentor. Il s'apprêtait à retourner chez lu, dans le Poitou lorsque la directrice lui proposa le poste de son ancien professeur. Gwendal accepta, non pas parce qu'il se sentait près, mais parce qu'il savait que c'est ce que le professeur Amblard aurait voulu. ***
"Roi, va prendre la Reine en C3." déclara Gwendal d'un ton sec. Après coup, cet ordre lui sembla affreusement obscène mais heureusement, Colombe de Rosset, sa partenaire d'échec ne releva pas. La pièce d'éhec en forme de Roi s'anima sous ses ordres et décapita promptement la Reine de Colombe. Sa collègue avança un de ses pions, qu'elle perdit au profit de Gwendal qui plaça finalement sa Tour face au Roi de Colombe, qui était coincé au bord de l’échiquier.
"Echec et mat." Forcé d'abdiquer, le Roi de sa collègue laissa tomber son épée sur l'échiquier.
"Félicitations." lui dit Colombe avec un sourire. Gwendal lui répondit par un sourire embarrassé. Voyant le silence du jeune homme, la sorcière ajouta gentiment:
"J'étais ravie de jouer aux échecs avec vous, Gwendal." "Moi de même." Le jeune de Lusignan passa ses doigts dans sa barbe, avant de prendre congé de sa collègue le plus poliment qu'il le pouvait. Depuis la mort d'Amblard, Gwendal avait l'impression de se conduire comme le dernier des rustres, quoi qu'il fasse. Comme pour illustrer ses pensées, le jeune homme bouscula sans le vouloir le professeur d'Abillon, le nouveau professeur d'alchimie d'Ornebois. Légèrement intimidé par cet important personnage, Gwendal se confondit en excuses. Alors qu'il se dirigeait vers ses appartements, Gwendal tomba sur le professeur Sauveterre qui lui adressa un de ses sourires fourbes de serpents. Sa présence lui était encore plus désagréable qu'il savait que son collègue pouvait lire à loisir dans ses pensées. Après tout, n'était-il pas réputé pour être le meilleur legillimens du pays? Chassant l'image inquiétante de ce collègue de son esprit, le bouclé s'enferma dans ses appartements et se retira dans son bureau. Là, il entreprit de relire attentivement les recherches du professeur Amblard. Depuis sa mort, le jeune homme se plongeait régulièrement dans les notes de son prédécesseur. D'une certaine manière Gwendal le gardait en vie en entretenant sa mémoire. Il travailla pendant près de trois heures sur les précieux parchemins de son mentor, puis alla se coucher, le rassurant visage parcheminé du professeur Amblard flottant encore sur ses paupières ensommeillées.
***
"Voyez vous, la métamorphose est une discipline complexe. Probablement l'une des plus complexes que vous aurez à étudier durant votre scolarité." Les jeunes premières années le dévisageaient avec de grand yeux écarquillés. Le jeune professeur marqua un silence avant de reprendre d'un ton tout aussi solennel.
"Vous suivrez mes cours pendant les huit ans que vous passerez à Ornebois. Je ne vous cache pas que cela sera difficile. J'exigerais le meilleur de vous même en tout temps. Mais si vous témoignez de l'application et de la persévérance dans mon cours, vous réussirez sans nul doute dans ma matière." Il alla chercher le hibou qui somnolait sur son perchoir au fond de la salle de classe, et le ramena devant ses élèves. Les jeunes sorciers, fascinés ne pipaient mot, et une vingtaine de paire d'yeux était fixée sur Gwendal et son hibou.
"Je vous apprendrais à transformer une chose en une autre..." déclama le jeune professeur de métamorphose d'un ton grave. Sur ces mots, le jeune homme apposa sa baguette sur l'animal qui se transforma en une volée de pigeons qui se posa de part et d'autres de la pièce, sous les éclats de rire des élèves.
"Je vous apprendrais à la faire disparaître." Puis d'un nouveau coup de baguette, les pigeons disparurent totalement de la pièce, déclenchant un cri de stupeur dans la salle de classe.
"Et je vous apprendrais à la faire réapparaitre..." Enfin, pour achever sa démonstration, Gwendal fit réapparaître le hibou, plus endormi que jamais.
"Si vous vous montrez assidus, vous serez capable d'en faire autant d'ici votre sortie d'Ornebois. Avant d'en arriver là, il faudra cependant commencer par les bases." D'un nouveau coup de baguette magique, Gwendal fit apparaître des boutons de différentes sur les tables de ses élèves qui poussèrent de nouveaux cris d'exclamation. Que les petits nouveaux étaient impressionnables!
"Vous allez me changer ces simples boutons en pièce de monnaie." Et alors que les jeunes sorciers s'attelèrent dûment à leur tâche, un sourire naquit sur lèvres de Gwendal de Lusignan. Le jeune homme se sentait épanoui, parfaitement à sa place dans le monde de l'enseignement, à perpétuer l'héritage du professeur Amblard.