Première corde, celle qui était belle.
Elle était belle. C’est tout ce qui m’est venu à l’esprit la première fois que je l’ai vue, et c’est tout ce que je peux dire sur elle. Aucun mot n’arrive seulement à effleurer la nature de son être. Aliénor la douce, la radieuse. A cette époque, Richard était encore regardant quant à sa femme, et la première qu’il avait choisie n’était peut-être pas de haut rang, mais elle n’en était pas moins magique. Ensorceleuse de mes sens, de mon regard qui restait désespérément attaché à elle, à sa chevelure reflétant l’éclat du soleil, oui, que Merlin m’en soit témoin Aliénor était..
Morte.
Tout ce qui est jamais passé entre mes mains s’est brisé. Sa peau, ses cheveux, ce que j’ai rêvé d’effleurer des nuits durant a commencer à se fêler à l’instant même ou pour la première fois, je posais mes mains sur son corps. J’étais jeune, j’étais stupide. Richard était partit accomplir son devoir de comte, et moi, j’accomplissais mes rêves et cauchemars, mes lèvres parcourant celle qui qui hantait mes pensées. Aliénor, celle qui était belle, et c’était tout. Juste belle, et promise au mauvais frère je pensais naïvement, pauvre idiot, tandis que je m’endormais ma main laissée dans ses cheveux d’or. Une nuit durant, je m’étais cru pour l’héritier. Pour le représentant d’une harpe que l’espace d’un moment, d’une heure, l’espace d’un rêve, a vu sa première corde se briser. Je ne suis pas né pour représenter notre blason mais pour servir mon frère. Richard qui ne s’est douté de rien. Richard qui blessait le bijou qu’il tenait avec fierté entre ses mains.
Richard qui m’a ordonné de la tuer lorsqu’elle s’est enfuie.
Aliénor n’avait pas besoin de mots, ni même de signes. Si je commençais à peine en légilimancie, ses pensées s’ouvraient naturellement à moi, et je n’avais qu’à voir son ventre s’arrondir pour comprendre. Quelques jours avant la naissance, elle a fui. La belle Aliénor est venue à ma porte les yeux emplis de larmes, et nous avons transplané loin d’ici, en Bretagne. Richard savait avait-elle dit entre deux sanglots, son corps secoué de la peur qu’elle ressentait, une vision lui avait montré l’infidélité.. Aliénor la belle victime de son propre ensorcellement, mais moi, traitre vis-à-vis de mon propre frère, il ne m’avait pas vu. Alors elle avait lancé un sort le temps de s’enfuir, de venir à ma porte. Ses murmures laissaient entendre qu’il avait promis de la tuer. De l’écarteler. La Bretagne oui, transplaner le plus loin possible de la mort de la seule personne que je n’ai jamais vraiment aimé. L’excuse dite le lendemain avec toute la persuasion dont j’étais capable était que j’avais entendu son cheval partir, et que je m’étais empressé que de la rattraper – mais en vain. Richard me croyait. Richard me croira toujours. Il n’a pas envie de perdre son seul allié, et moi, je n’avais pas envie de perdre ce qui était après tout mon enfant.
Aliénor était morte. J’étais revenu deux jours plus tard dans la grange abandonnée ou je l’avais laissée. Abîmée, arrachée, sanglante corde de harpe que j’avais détruite en posant pour la première fois non pas ma main, mais mon regard sur elle. Son regard vitreux était posé sur le petit corps de celui qu’elle avait réussi à faire vivre seule, au prix de sa vie. Des sortilèges de protection couraient sur sa peau rouge, unique et ultime héritage qu’elle pouvait léguer à son fils, du bout de sa baguette perdue dans le foin. A
mon fils. Je l’aimais autant que je le haïssais. Richard m’avait demandé de tuer sa femme, et cet enfant avait accompli le désir de mon bien aimé frère.
Je suis resté une nuit et un jour auprès de son cadavre et de son responsable.
Puis j’ai repris mes esprits. J’ai fait léviter la chose brisée qu’était celle qui n’aurait pas dû être si belle, ainsi que l’enfant que je n’aurais jamais le courage d’éduquer. Les paysans et leurs airs effarés, le risque que je prenais à être reconnu, moi et la femme de Richard. Toutes ces choses qui semblaient appartenir à un autre monde. Ensorceleuse femme qui même dans la mort arrivait à me hanter, je n’ai réussi qu’à déposer mon fils devant une quelconque maison. «
Ourzal » J’avais articulé, le corps sanglant de sa mère lévitant à mes côtés. «
Il s’appelle Ourzal. » Dans mon esprit, je n’avais pas détruit Aliénor, mais lui l’avait fait. Ourzal. Prénom parfait pour ce démon braillard.
J’ai dormi une dernière fois à côté de celle qui était belle, avant de me réveiller dans les flammes. Idiot gamin de 15 ans qui n’avait pas réalisé que les moldus avait vu la dame blanche qui t’accompagnait. La morte. Mon Aliénor. Elle et ses cheveux couleur jaune flamme qui brûlaient à mes côtés, tandis que ma jambe se faisait également lécher par les flammèches que les paysans terrifiés avaient déclenchés.
«
Enlevée par des moldus » avaient été mes mots face à Richard. «
J’ai failli y laisser ma vie, mais je n’ai pu la sauver. » Et Richard m’a cru. Richard me croira toujours.
Seconde corde, l'ennuyeuse
Elle était rousse. Rousse, et même pas fichue d’être une courbelangue. Elle, c’était la frustration et l’ennui incarné. Petite Sombralin de neuf ans ma cadette et pourtant bien plus fière que moi de sa famille pourtant tout aussi maudite que celle à la harpe. Insupportable petite chose. Si elle avait compris qu’en ma présence parler de sa chère et noble famille était déconseillé, pour mon plus grand malheur, cela ne l’empêchait pas de penser tout haut ce qu’elle ne pouvait dire tout bas. Et j’entendais tout. Et je savais tout de ses ressentiments, de son dégoût de nôtre château, de ce mariage. Idiote gamine que je me suis dépêché d’engrosser afin de ne plus avoir à la côtoyer.
Je ne me souviens pas de son prénom, et de toute manière, elle est morte.
En couche,
comme d’habitude. Ma dernière année à Ornebois s’achevait, et j’étais las près du lit rougeâtre ou elle reposait, son visage encore fatigué de l’effort ultime qu’elle avait réalisé. Si je recevais des lettres d’un de mes hommes de mains qui observait de loin ce que devenait mon fils bâtard, la vision de ce qui était mon premier enfant légitime me grisait. C’était une fille. Une fille, et déjà une rousse. Les douloureuses sensations qu’elle ressentait éclataient dans mon esprit, et je me retrouvais assommé devant cette stupide scène. Je n’étais pas surpris. Tout ce que je touche se brise. Cette même année, je me souviens avoir raté avec brio l’épreuve morale pour rentrer dans la garde de trécesson. C’était ridicule. J’étais ridicule.
Une main s’était posée sur mon épaule, et les pensées compatissantes de Richard me firent serrer les dents. «
Je suis désolé cher frère. » Lui qui s’amusait à changer de femme comme l’on changerait de monture, lui qui prenait même goût à les voir mortes, le voilà sincère face à la rousse crevée. Je sortais d’Ornebois et j’étais veuf – mais oh, pas miracle avais-je au moins une rouquine d’héritière. «
Que sa mémoire soit honorée en transmettant à la fille le nom de la mère. »
Comment s’appelle-t-elle déjà ? Même Richard ne se souvenait plus du nom de cette insignifiante femme. Un rictus déchirait mon visage sans que je ne m’en rende compte. «
Avec toute la magie que nous sommes capables d’accomplir, une simple femme ne peut survivre, n’est-ce pas ? » Au moins n’aurais-je plus à écouter ses souvenirs niais, ses rêves infaisables, son envie de retourner à Ornebois et au sein de sa famille tout aussi minable. La mémoire que cette gamine me laisse, je veux l’oublier. Je veux la détruire. Que toute trace de son existence, de cette perte de temps et d’argent qu’elle m’a causé à moi et ma famille n’apparaisse dans aucun registre.
«
J’en suis navré Trystam. » Moi aussi, oh, j’en étais terriblement navré. La fille était enveloppée dans des draps propres, au sein d’une petite corbeille tressée. Plus tard, tout comme sa mère, tout comme cette mémoire rance qu’elle honorera, elle deviendra un poids pour son père. Une chose à marier, une dot, une vache à vendre au plus vite. Je me souviens avoir marché vers elle comme dans un rêve, passant d’un endroit de la pièce à l’autre en une éternité. Oui, qu’on lui transmette son nom, peu-importe lequel était-ce. Qu’on lui transmette sa stupidité, son inutilité. Les mots glissèrent de mes lèvres, la baguette pointée vers son petit crâne déjà coiffé de quelques cheveux roux, doux sortilège pour donner à cette fille l’héritage nauséabond de sa mère.
Et un éclair vert brisa une fois de plus la harpe.
Troisième corde au nom de Richard
UC
Une dernière, sur le point de rompre.
UC